Recherches aux archives départementales effectuées par Jacques Sibileau
Depuis des temps immémoriaux la traversée du Clain était effectuée grâce à une grande barque ou charrière au lieudit Port de Beaumont. Cette charrière permettait ainsi de desservir les 2 localités, Beaumont et Saint-Cyr, de donner aux populations de la rive droite du Clain accès à la station de chemin de fer de la Tricherie, via le chemin d’intérêt commun n°51 qui reliait Beaumont à Bonneuil-Matours.
Mais en 1881, le service des Ponts et Chaussées doit supprimer la charrière devenue « inserviable » et le fermier chargé des traversées n’a pas les moyens de la remplacer, privant ainsi les populations riveraines de communication. Les communes de Beaumont et Saint-Cyr soulignent alors l’urgence à remédier à cet état de fait et réclament au département des mesures rapides pour qu’un pont soit réalisé dans ce point de passage si fréquenté.
Finalement ce n’est qu’en 1890 que le Conseil Général de la Vienne ouvre un crédit de 4000 francs pour lancer les études (sondages, étude des abords, profils….) et demander à quatre architectes de présenter des projets (MM Beauchêne, Garnier, Thomas et Eiffel) Finalement seuls sont mis en concurrence MM Eiffel et Thomas qui doivent rendre leurs études pour la fin du mois de Mars 1891.
A la séance du 10 avril 1891, le Conseil Général de la Vienne inscrit un crédit de 12 000 francs pour la construction du « pont de Saint-Cyr » et décide d’en confier la construction à M. Eiffel. Les communes quant à elles, déclarent être trop pauvres pour participer au financement. Par contre, une souscription est lancée auprès des habitants. Il y a 164 souscripteurs qui offrent à Saint-Cyr : 6 220fr et à Beaumont : 6 829fr.
Le pont est inauguré en juin 1893. Le journal « L’Avenir de la Vienne » en date du 7 juin 1893 relate ainsi l’évènement.

« Beaumont : inauguration d’un pont
Il vient d’y avoir aujourd’hui même, dans notre commune, une fête locale ayant plus d’un point de ressemblance avec celle dont un habitant de Saint-Martin-la-rivière donnait tout récemment le compte-rendu. Il s’agissait pour nous de la réception d’un pont métallique sans pile ni culées, établi sur pieux à vis au passage du Clain, à 400m de la station de la Tricherie et destiné à relier ensemble les communes de Saint-Cyr et de Beaumont.
Le Clain à la Tricherie, quoique étalant ses eaux sur une grande largeur, fait moins grande figure que la Vienne à Saint-Martin-la-Rivière, c’est possible, mais la beauté du site ne le cède en rien à celui de la vallée de sa grande sœur, surtout dans l’emplacement de notre nouveau pont où le coup d’œil est ravissant et fait pour allécher plus d’un artiste paysagiste.
Placé à la limite des cantons de Vouneuil et Saint Georges, notre pont de 102 mètres de longueur nous a procuré l’avantage d’avoir les autorités des deux cantons, réunies pour assister aux épreuves et à la réception dont nous allons dire un mot.
Dès midi et demi, les habitants des villages voisins arrivent en se promenant pour voir les préparatifs et se rendre compte des épreuves qui commencent en attendant l’arrivée de la Commission. Les hommes, en gens sérieux, cherchent à se rendre compte de l’ouvrage, s’approchent le plus possible et se lancent dans des dissertations variées. Les enfants encore plus curieux sont éloignés par les gardes pour éviter les accidents. Quant aux dames et aux jeunes filles, trouvant que leurs ombrelles ne tempèrent pas suffisamment les ardeurs du soleil, elles se répandent dans les prés à l’ombre des arbres de la rive du Clain et même y dansent des rondes ;
A deux heures, M. Nivert, député, président de la Commission arrive suivi de M. Brissonnet, conseiller général du canton de Vouneuil. Aussitôt les membres de la Commission déjà rendus et à la tête desquels se trouve M. Fruchard, conseiller général du canton de Saint-Georges, vont à l’avance de ces messieurs, des saluts sont échangés et à une dizaine de mètres avant l’entrée du pont, des bouquets sont offerts à tous les membres de la Commission. Puis M. le Député Nivert allume un feu de joie monstre qui fait bien vite écarter les curieux, beaucoup mieux que les gardes champêtres munis de leurs plaques fraîchement astiquées.
Enfin, la Commission arrive au pont où à l’entrée M. Grange, l’agent–voyer en chef les reçoit, puis en quelques paroles, nettement exprimées, donnent des détails sommaires sur l’œuvre d’art que la Commission est appelée à recevoir, et termine en exprimant l’espoir que la Commission toute entière sera unanime à reconnaître les efforts du service vicinal pour faire un judicieux emploi des fonds mis à sa disposition par le Conseil Général. Immédiatement M. le Député Nivert répond qu’avant de procéder aux diverses constatations, il tient à donner M. l’Agent-Voyer en chef un témoignage public de reconnaissance pour son zèle administratif et son dévouement à la République bien connus de tous les membres du Conseil Général. On procède ensuite aux épreuves.
Pour cela un attelage magnifique de 7 chevaux appartenant à M. Bellot, notre maire, et mis gracieusement à la disposition de l’administration, s’avance sur le milieu des travées en traînant une charge de 8500kg non compris le poids du véhicule. Rien ne faiblit, tout se passe admirablement et la Commission, on le voit, est enchantée.
Revenant à l’entrée du pont, M. le Député Nivert annonce à l’assemblée que le pont de Beaumont Saint-Cyr est ouvert à la circulation publique et dans une allocution pleine de sentiments républicains et patriotiques, il fait ressortir aux yeux de tous, les efforts du gouvernement de le République pour améliorer, partout, la situation des campagnes, en y établissant des routes, des ponts, des chemins de fer, des écoles, etc. en cherchant en un mot à répandre le bien être dans les classes laborieuses. Ces faits, ajoute-t’il, sont tellement frappants, tellement indéniables, que les ennemis les plus acharnés de la République en sont aujourd’hui à s’incliner devant les résultats obtenus et forment les ralliés ; le Pape lui-même, le chef de la chrétienté, n’a-t’il pas donné son adhésion publique à la forme du gouvernement que nous possédons et qui est la meilleure de toutes puisqu’elle arrivera à faire disparaître les inimitiés existantes entre les enfants d’une même patrie. M. Nivert propose donc en terminant de pousser ce cri qui doit avoir un écho dans tous les cœurs français de : Vive la République !! Un formidable hurrah accueille ces paroles et les bords du Clain retentissent d’un immense cri de « Vive la République »
M. Fruchard, conseiller général, prend ensuite la parole et, nous devons le reconnaître avec finesse, se plaçant sur le terrain de l’union entre les français, fait ressortir que le pont qu’on vient d’inaugurer fait que les communes de Beaumont et de Saint-Cyr vont à l’avenir devenir sœurs et que leurs habitants sympathiseront ensemble. Il remercie l’administration et notamment son chef, Monsieur le Préfet, d’avoir facilité l’accomplissement d’une pareille tâche et après avoir dit un mot de regret au sujet de son absence de la fête, il termine en proposant de crier « Vive les communes de Beaumont et de Saint-Cyr ! Vive Monsieur le Préfet ! »
Ajoutons pour être complet, qu’à l’issue de la fête, un banquet de quarante convives, offert par M. le conseiller général Fruchard réunissait dans la salle de classe de Saint-Cyr, MM. les maires et les conseillers municipaux de Beaumont et de Saint-Cyr, M. le conseiller d’arrondissement de Saint Georges et le représentant de l’entreprise. N’y assistant pas, il ne nous est pas possible de vous en donner un compte-rendu quelconque.
Tout ce que nous pouvons affirmer, c’est que nous avons eu une bonne journée pour la République, dont nous garderons le souvenir. LN »
Ce pont n’étant pas assez large pour les véhicules modernes a été remplacé par le pont actuel puis détruit.
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