La « Belle Rouet » : une femme dans l’orbite des plus grands

Portraits de Louise de la Béraudière du Rouhet par François Clouet
Louise de la Béraudière du Rouhet, ayant vécu dans ledit château de notre commune, fut la maîtresse de nombreux membres de la famille royale ainsi que d’hommes de lettres du 16e siècle. Qui l’eut cru ?
Aux origines controversées de Louise
Louise de la Béraudière du Rouhet, née en 1530, a des origines controversées. Il est attesté sur la majorité des sources internet actuelles qu’elle serait la fille de René de la Béraudière et de Madeleine du Fou. Ces assertions, issues notamment de l’Histoire généalogique des grands officiers de la couronne, du Père Anselme ont été remises en question avec la mémoire de la famille relatée dans le Dictionnaire historique et généalogique des familles de l’Ancien Poitou, d’Henri Beauchet-Filleau.
D’après ce dictionnaire, Louise de la Béraudière serait bel et bien la fille de Louis de la Béraudière, seigneur de Sourches et de Rouhet, Marquis de l’Isle Jourdain… et de Louise de Guiche (tante d’Henriette de la Guiche, femme de Louis de Valois, duc d’Angoulême). A l’appui de l’arbre généalogique, deux raisons permettent de pencher vers la seconde affirmation :
- Louise de la Béraudière est communément nommée avec l’appellation « du Rouhet » complétant son nom. Cela ne semble possible que parce qu’elle est descendante des aînés de la famille de la Béraudière depuis le mariage avec les Combarel (propriétaires du Château de Rouhet).
- Ensuite, il est naturellement plus logique de penser que Louise est l’unique fille de Louis et d’une autre Louise que celle d’un René et d’une Marguerite. Pendant de nombreuses générations, les prénoms donnés aux enfants étaient souvent ceux des parents.
Louise au service de Catherine de Médicis à des fins politiques

Élevée dans le Poitou, Louise devient fille d’honneur à la cour de Catherine de Médicis à l’âge de douze ans en 1552, et ce pendant près de 10 ans.
Catherine de Médicis, reine de France, est très rapidement confrontée au problème religieux pendant le règne de François II. Dans un premier temps intransigeante face aux protestants, elle se positionnera plus tard pour la liberté d’expression de ceux-ci après les guerres de religion. Mais, elle va se servir de son influence sur Louise de la Béraudière pour lui demander de séduire Antoine de Bourbon, prince de sang de la maison capétienne des Bourbons et futur père du roi Henri IV. Celui-ci, marié à Jeanne d’Albret, protestante calviniste convaincue, choisira le catholicisme en 1561 grâce au travail de séduction de Louise de la Béraudière. Cette dernière, attirée par les militaires et les conquérants, restera même un an avec le roi de Navarre. Un enfant non légitime va naître de cette rencontre. Catherine de Médicis, pour remercier Louise, lui accorde ce droit, alors qu’elle est très hostile à ce que ses filles d’honneur aient des enfants. Elle accouche en 1554 de Charles de Bourbon, futur archevêque de Rouen, évêque de Comminges et de Lectoure et surtout…propriétaire du Château de Rouhet !


Le site « Favorites Royales » note la reconnaissance des Médicis envers Louise : « Pendant dix ans, Louise de la Béraudière va servir la reine Catherine et devenir l’une de ses filles d’honneur préférées. Elle entendra et verra bien des choses, surprendra des secrets, approchera tous les princes du sang, tous les courtisans attitrés, assistera à toutes les réceptions, à toutes les fêtes, figurera dans tous les ballets. Elle apparaîtra dans les comédies jouées à la cour, déguisée en nymphe ou en héroïne, elle chantera, dansera, déclamera, jouera du luth… ».
Jean Calvin, étonné par le travail de « la belle Rouet », dira même « Il est tout à Vénus, […] la matrone, qui est expérimentée en cet art, a extrait de son harem ce qui pouvait attraper l’âme de notre homme en ses filets».
Pour remercier Antoine de Bourbon de son choix, Catherine de Médicis le nomme Lieutenant Général du Royaume. Au début des guerres de religion, Antoine de Bourbon sera amené à diriger les troupes catholiques lors du siège de Rouen en 1562, ville alors protestante.
L’escadron volant, tel décrit par Brantôme, est « une belle troupe de dames et damoiselles, créatures plutôt divines qu’humaines, qui brillaient aux entrées de Paris et d’autres villes, aux sacrées et superlatives noces des rois de France et de leurs sœurs, à l’entrevue de Bayonne et ailleurs, toutes plus belles les unes que les autres et ornées en de telles fêtes de livrées, toutes plus gentilles les unes que les autres. On les voyait reluire dans une salle de bal, au Palais ou au Louvre, comme étoiles en ciel en temps serein, et qu’il faisait beau les regarder aussi, quand la reine allait par pays, en sa litière étant grosse, ou qu’elle allât à cheval en l’assemblée ! Elles la suivaient à quarante ou cinquante, sur de blanches haquenées bien harnachées, merveilleuses sous leurs chapeaux garnis de plumes qui demandaient l’amour ou la guerre. Elles étaient religieuses de Vénus et de Diane, il fallait qu’elles eussent bien de la sagesse et bien de l’habileté pour se garder de l’enflure du ventre ! ». Par leur légèreté et leur beauté, ces demoiselles réussissaient à obtenir ce qu’elles voulaient de leurs amants, comme ce fut le cas pour « la belle Rouet ». On peut aussi citer Charlotte de Sauve, qui fut maîtresse de Henri de Navarre, futur Henri IV. |

Mais la relation entre le nouveau lieutenant Général et Louise va se glacer : Marguerite de Lustrac, surnommée « la belle maréchale de Saint-André », charme Antoine de Bourbon. Il faut dire que ses châteaux et sa beauté l’attirent, lui qui ne veut plus entendre parler de « La belle Rouet » et de son enfant bâtard. Il est dit que Louise pleurera longtemps, ce qui prouve son attachement à Antoine de Bourbon.
Charles III de Bourbon, ecclésiastique, fils de Louise de La Béraudière, fut propriétaire du Château de Rouhet et fit construire la tour à créneaux et l’escalier actuels bien conservés et classés aux Monuments Historiques. Ces éléments sont inspirés du Château de Pau, où il fut élevé avec Henri de Navarre (futur roi de France).
BOURBON (Charles de), fils naturel d’Antoine de Bourbon, roi de Navarre, né le 30 mars 1562, fut nommé archevêque de Rouen en 159, en remplacement de Charles III, cardinal de Bourbon. Par la suite, il fut pourvu d’un certain nombre de bénéfices très importants, notamment des abbayes de Marmoutier (1604), de Bourgueil, de Saint-Denis, de Saint-Ouen, de Saint-Germain-des-Prés et d’Orcamp. Il mourut à Rougemont le 15 juin 1610, et fut inhumé dans le chœur de l’église abbatiale de Marmoutier.
Dictionnaire géographique, historique et biographique d’Indre-et-Loire et de l’Ancienne province de Touraine, Jacques Xavier Carré de Busserolle, 1878
Deux mariages très vite détournés
Serait-ce pour se venger de son enfant bâtard que Catherine de Médicis aurait renvoyé Louise de la Béraudière de son « escadron volant » ? La question reste en suspens. En tout cas, une fille d’honneur à la cour de la reine ne peut rester si elle est enceinte. Catherine de Médicis trouve pour son ancienne fille d’honneur Louis de Madaillan d’Estissac, grand seigneur du Périgord et du Poitou, gouverneur de La Rochelle et de l’Aunis, qui a de plus été fait chevalier de l’ordre de Saint Michel en 1552. Louise part vivre au château de Coulonges-sur-l’Autize et elle y élève Charles en 1563 et Claude en 1564, deux enfants nés de l’union avec Louis de Madaillan d’Estissac ainsi que Charles III de Bourbon, enfant bâtard d’Antoine de Bourbon. Son mari, beaucoup plus âgé qu’elle, meurt en 1565. Veuve, celle que l’on nomme désormais Madame d’Estissac reçoit dans sa propriété de nombreuses personnalités de haut rang comme Catherine de Médicis, Marguerite de France (fille de la précédente et d’Henri II) ou Michel de Montaigne, qui la flattera dans ses écrits…
La régente lui propose alors une alliance avec Robert de Combault, seigneur d’Arcis-sur-Aube, grand maître d’hôtel du Roi, chevalier de Saint Michel par Charles IX et du Saint Esprit par Henri III. Il met à la disposition de Louise de la Béraudière la cession du revenu de l’évêché de Cornouailles, soit 20 000 écus, qui sera récupéré par son premier enfant, Charles III de Bourbon. Pierre de l’Estoile, collectionneur et mémorialiste du temps d’Henri III et d’Henri IV se moque de la somme accordée à la promise lors de leurs noces en 1580 :
Pour épouser Rouhet avoir un évêché
n’est-ce pas à Combaud sacrilège péché
dont le peuple murmure et l’église soupire ?
Mais quand de Cornouaille on oiy dire le nom
digne du mariage on estime le don
et au lieu d’en pleurer, chacun n’en fait que rire.
Il est dit que cette union leur apportera bonheur et tranquillité, peut-être parce que « la belle Rouet » et son nouveau mari sont tous deux au service de seigneurs et de rois, l’un en tant que maitre d’hôtel, l’autre en tant que fille d’honneur et dame de compagnie. Deux enfants naissent de cette union : Claude en 1574 et Louise en 1575.
Louise de la Béraudière est aussi choisie par le nouveau roi Henri III pour tenir compagnie à sa femme, Louise de Lorraine et notamment lors de ses nombreuses fausses couches. En 1589, lors de l’assassinat d’Henri III par le dominicain Jacques Clément, celui-ci le déclarant comme ennemi juré des catholiques, Louise de la Béraudière délaisse la « dame blanche », la reine se recouvrait désormais d’un voile blanc pour faire le deuil de son mari.

Sa seconde union sera délaissée à la fin de sa vie à cause de nombreuses déceptions. La première, c’est le décès de Charles d’Estissac, son fils en 1586, lors d’un duel contre le comte de Biron.
Ensuite, Claude d’Estissac est marié en 1587 à François de la Rochefoucauld, le titre d’Estissac passe dans les mains d’une autre famille, ce qui est difficile à accepter pour Louise de la Béraudière.
Michel de Montaigne décède aussi en 1592, ce qui est une grande tristesse pour elle.
Claude de Combault, baronne d’Arcis-sur-Aube est mariée à Charles, baron de Clère (1575-1626), et sa dernière fille, Louise, est mariée à René de Maricourt, baron de Mouchy le Châtel. Aucun enfant ne naîtra de cette dernière union.
Enfin, la tristesse achevant sa vie sera celle du décès de son mari Robert de Combault, en 1601.
Louise de la Béraudière finira sa vie dans le repentir et la solitude. La date de sa mort se situe entre celle de son défunt mari et celle de Brantôme l’écrivain, en 1614.
Une nébuleuse autour d’hommes de lettres
Ce qui est en revanche sûr, c’est que Louise de la Béraudière a toujours attiré les hommes de lettres, dont Brantôme et Montaigne.

Brantôme, tout au long de sa vie, fut intéressé par Louise de la Béraudière, mais ce sentiment n’était pas réciproque pour « la belle Rouet ». Cette appellation est d’ailleurs due à Brantôme. Il fit la connaissance de Louise à la cour de Catherine de Médicis, car sa sœur Madame de Bourdeille, était aussi fille d’honneur de la régente.
Dans ses écrits, Brantôme s’est intéressé à la vie de cet escadron volant. On l’appelle souvent « le valet de chambre de l’histoire », pour la précision dans ses écrits. Son ouvrage La vie des dames galantes lui vaudra une citation : « Toute belle femme s’estant une fois essayée au jeu d’amour ne le désapprend jamais ».
Quant à Louise de la Béraudière, il la flatte avec un sonnet (deux quatrains suivis de deux tercets en alexandrins) :
Je n’ai eu nul repos depuis que j’eus au cœur
les beaux traits de vos yeux qui me firent malade,
car, soit que seul je sois aux champs, à la bourgade
j’ai toujours le front bas, abattu de langueur
j’ai voulu éprouver si de Mars la fureur
alentirait mon mal ; mais soit qu’à l’embuscade
je fusse tout nuit transi dans ma salade,
moins je trouvais la paix en tant âpre douleur
je n’ai jamais, Rouet, souffert douleur pareille
et si, ai de mon sang vu la terre vermeille
de lance, arquebusade, et d’épée en maints lieux !
Crois donc que l’on n’éprouve en guerre plaie telle
que celle qui nous vient au cœur par les beaux yeux
d’une chaste beauté humainement cruelle.
A cet homme, elle répond : «si vous m’aimez tant et que vous soyez si courageux que vous dites, donnez-vous de votre dague dans votre bras pour l’amour de moi ! ».
Elle le reçoit dans son château, alors mariée à Louis d’Estissac et va le refuser en tant que second mari. Pendant toute sa vie, il essaiera de se faire le plus visible possible auprès de Louise, au détriment de Michel de Montaigne, qu’il n’aime pas !
Pourtant, Montaigne est apparemment plus apprécié par « la belle Rouet » que Brantôme.

Lors de son second mariage, Louise pense à Montaigne. Mais celui-ci est marié à Françoise de la Chassaigne, femme pour laquelle il n’éprouve rien en particulier. Ainsi, les amants feraient leur vie de leur côté. Il ne la cite qu’une fois dans ses Essais par rapport à Mme D’Estissac pour laquelle est consacrée le chapitre VIII dans son tome II (en ligne ici).
Montaigne occupe aussi une place importante pour Louise car c’est lui qui lui propose d’emmener son fils Charles d’Estissac, excellent en escrime, en Suisse, Allemagne et Italie pour se perfectionner dans sa discipline auprès de maîtres italiens. Il n’avait alors que dix ans.
D’une beauté incomparable, les mots de Brantôme et de Montaigne ne pouvait que renforcer le « visage angélique et l’or radieux de sa chevelure », pour celle qui fut propriétaire du Château de Rouhet pendant toute une vie.
Recherches effectuées pas Raphaël Serreau
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