Vivre à Beaumont avant l’électricité

Souvenirs de Paul Gaborit, né en 1920. Propos recueillis par Françoise Bergeon en 2014

VIVRE A BEAUMONT SANS ELECTRICITE, NI EAU COURANTE, NI TELEPHONE !

On a peine à imaginer la vie sans électricité, et pourtant l’électricité n’a été installée à Beaumont-La Tricherie que vers 1925. Même lorsque je suis entré comme interne au Lycée de Poitiers à 12 ans, en 1932, tous les plafonds des salles de classe comportaient encore la tuyauterie de l’éclairage au gaz. Mais la distribution de gaz n’existait que dans les villes importantes comme Poitiers ou Châtellerault et non dans les campagnes.

Avant de décrire la vie sans électricité, il faut préciser qu’au moins 95% de la population de Beaumont-La Tricherie était composée, comme dans toutes les campagnes de France, de cultivateurs ou de personnes possédant quelques parcelles de terre, de vignes et de grands jardins et des basses-cours, de sorte que toute cette population vivait en quasi-autarcie.
Il n’existait pas de marchand de légumes. Pour la boucherie-charcuterie seulement des commerçants ambulants venaient de communes voisines plus importantes.

L’éclairage :


Sans électricité, la plupart des travaux s’effectuaient à la lumière du jour. Les journées d’été paraissaient donc beaucoup plus longues que les journées d’hiver, surtout pour ce qui concerne les travaux des champs.
À la nuit tombée, on allumait la lampe à pétrole, suspendue au dessus de la table, au centre de la grande cuisine servant de salle commune. Cette lampe n’éclairait pas beaucoup ; l’intensité de l’éclairage était obtenue en remontant la mèche avec petite roue à molette, mais assez peu puisqu’il s’en suivait rapidement une épaisse fumée noire. Au-delà de la table on devait recourir à la bougie ; aussi le chandelier de secours était toujours sur la cheminée avec sa boîte d’allumettes.
Pour aller dans les communs, cellier, cave, écurie… ou dans une autre pièce où il n’y avait évidemment aucune lumière, on utilisait une bougie éventuellement placée dans une lanterne fermée ou une lampe à carbure (de calcium) résistant aux courants d’air.

L’hiver, après le dîner, on restait parfois bavarder en se chauffant devant la cheminée puis on regagnait la chambre à coucher en s’éclairant avec une lampe Pigeon (petite lampe à pétrole avec un verre sphérique protecteur de la flamme, utilisée aussi comme veilleuse).

 

Dans la chambre à coucher on s’éclairait avec une autre lampe à pétrole installée à demeure sur un meuble..

L’été, même processus mais la station devant la cheminée était remplacée par un bref séjour assis ou couché sur l’herbe de la place, en bavardant avec les voisins, jusqu’à l’arrivée de la nuit noire.
Ne parlons pas des lieux d’aisance qui consistaient partout en une cabane en planches au fond des jardins.

Et à vélo !
L’éclairage électrique par dynamos sur les vélos n’a été généralisé que postérieurement à 1930. Je n’ai jamais utilisé ce genre d’éclairage mais je me souviens que trois cousins, qui fréquentaient les bals nocturnes des hameaux ou des communes voisines, utilisaient des lampes à carbure de calcium.
A ce propos une grande activité des gendarmes de l’époque 1925-1930 consistait à verbaliser, à la sortie de ces bals nocturnes, les cyclistes imprudents dépourvus de lumière. Une autre de leurs activités consistait aussi, à faire la chasse aux plaques de vélo, petit rectangle d’aluminium estampillé, justifiant l’acquittement de l’impôt annuel.

La cuisson des aliments – le chauffage :

Dans la cuisine existait une grande cuisinière à bois ou charbon avec four et réservoir d’eau chaude. L’hiver, cette cuisinière assurait à la fois la cuisson des aliments et le chauffage.
La cheminée était aussi très utilisée : sur un trépied disposé au-dessus du foyer on pouvait placer la poêle ou la marmite. En avançant les braises on plaçait un gril qui fournissait des grillades succulentes.
Les cheminées comportaient un crochet réglable en hauteur, “la crémaillère” auquel on accrochait la marmite. Plus anciennement, dans certaines maisons, il existait des poêles à longue queue (environ 1 mètre) attachées avec une ficelle au tablier de la cheminée. Il n’y avait pas de chauffage dans les autres pièces mais plus tard, des poêles à bois émaillés “Mirus” ont été installés.

D’une manière générale les chambres n’étaient pas chauffées. Interne au Lycée de Poitiers de 1932 à 1939, je n’ai jamais connu de chauffage dans les dortoirs, il m’est souvent arrivé de ne pas faire de toilette certains jours d’hiver, l’eau étant gelée dans les lavabos. Entre parenthèses, pour les 350 internes, il n’existait qu’une salle de douches, au rez-de-chaussée, entrée en pyjama en traversant une cour et ne fonctionnant que le Jeudi de 6 à 8 heures du matin !

L’été, la cuisson des aliments se faisait sur des fourneaux à charbon de bois disposés de chaque côté de la cheminée – On n’a rien inventé avec le barbecue-. Quand le four de la cuisinière devait être utilisé, il régnait dans la cuisine une chaleur presque insupportable.

Les réchauds à gaz butane sont arrivés après les années 30.

Le chauffage à l’école de Beaumont, vers les années 30, était assuré par un poêle à bois puis à boulets de charbon, disposé de telle sorte que le tuyau de fumée traverse complètement la salle pour un meilleur chauffage. Ce poêle était allumé par un élève, le chef de ménage, arrivant chaque matin une heure avant les autres, à tour de rôle chaque semaine.

La conservation des aliments :

A Beaumont-La Tricherie comme dans toutes les campagnes à l’époque, pas d’électricité donc pas de réfrigérateur, pas de marchands de glace qui n’existaient qu’en ville, donc pas de glacières, seulement l’eau fraîche des puits pour les boissons, la cave ou les celliers noirs.

Chez nous, tant à La Tricherie puis à Beaumont, il n’existait pas de cave mais un cellier plongé dans le noir dans lequel on suspendait un garde-manger, sorte de cage de grillage assez fin pour qu’une mouche ne puisse passer.

Mais malgré cela, on trouvait souvent des asticots sous la croûte des fromages de chèvre, une mouche ayant dû se poser pendant le transport dans le panier de la fermière marchande.
Pour les boissons, on puisait un seau d’eau fraîche dans lequel on plongeait les bouteilles.
Le poisson de mer, difficile à conserver, était rare ou souvent vendu conservé dans le sel par un marchand ambulant. Harengs saurs, sardines, morue constituaient l’essentiel.

A propos de mouches, les gens de l’époque 2000 ne peuvent imaginer ce que cela représentait : l’été, il y en avait partout et en grand nombre. Heureusement elles n’étaient pas agressives comme les mouches d’Afrique. On cherchait tous les moyens possibles pour s’en débarrasser : les pièges consistant en carafes spéciales à eau sucrée ou vinaigre mais surtout ces fameuses bandes de papier recouvertes de glu qui “décoraient” nos plafonds et que l’on voit revenir aujourd’hui.

Pour le ravitaillement, il existait trois épiciers à La Tricherie, deux à Beaumont et quelques ambulants. Ils ne vendaient que des denrées non périssables à part le camembert, le fromage à trous dénommé gruyère et les gâteaux secs. Chez Mme Aurioux à Beaumont, Alice pour les anciens, on trouvait de tout, de l’arrosoir en zinc pour le jardin… au coupon de tissu pour la confection de robes.

Epicerie Aurioux

Ravitaillement en eau :

Le réseau d’eau courante n’a été installé que bien après la guerre de 40. Auparavant, Il fallait quérir l’eau de boisson dans les puits profonds d’environ 12 mètres à La Tricherie et 35 mètres à Beaumont à l’aide de seaux accrochés à une corde s’enroulant sur un treuil. Parfois le seau se décrochait et il fallait le récupérer pour éviter qu’il n’encombre le puits et surtout qu’il n’y rouille et pollue. On utilisait pour ce faire un “pied de chat”, sorte de très gros hameçon à 4 branches et il fallait treuiller des dizaines de fois avant d’accrocher le seau et parfois un autre seau abandonné par un voisin indélicat. En effet, l’eau était si rare à Beaumont et creuser un puits si difficile que 8 à 10 voisins possédaient un droit de puisage sur un même puits.

Porte du puits

Dans chaque maison, on recueillait donc précieusement l’eau de pluie, soit dans des citernes, soit dans des mares et souvent les deux pour le lavage, l’arrosage ou l’abreuvage des animaux. Les gens les plus aisés possédaient une pompe à main à La Tricherie, mais ce confort était impossible à Beaumont à cause de la trop grande longueur d’aspiration.

Lors de certains étés très chauds, les mares s’asséchaient et il était nécessaire de se ravitailler au Clain avec des demi-muids ou barriques installés sur les charrettes.

Il est difficile d’imaginer actuellement comment les vignes, abondantes à Beaumont, pouvaient être “traitées” avec ce manque d’eau. Il est donc facile de comprendre pourquoi il n’existait pas beaucoup de buveurs d’eau à Beaumont.

Le téléphone :

Né en 1920, j’ai toujours connu le téléphone chez mon grand-père à La Tricherie C’était le 2 à La Tricherie. Ce téléphone fonctionnait avec de grosses piles changées périodiquement par les PTT. Plus tard, à Beaumont vers 1935, mon père aura aussi le téléphone le numéro 4 et permettra à la plupart de ses voisins de l’utiliser. Le 5 à la Tricherie était à Baudiment chez Bergeon.

Il eut la radio en 1932 l’une des premières dans la commune, la télévision en 1957, la presque première dans le département de la Vienne. Il y en avait 200.000 en France à ce moment-là.

Vers 1925/1930, on ne pouvait écouter la musique qu’avec de très rares phonographes fonctionnant avec un moteur à ressort.

J’ai vu construire le principal restaurant de La Tricherie à côté de notre maison: il y avait de notre côté une véranda attenante dans laquelle avait été installé un phonographe avec un énorme pavillon comme haut-parleur.

Il ne devait y avoir que 2 ou 3 disques diffusant le même air toute la journée lors du passage de clients. J’aurais en tête durant toute ma vie cet air de “Valencia” que j’ai entendu, enfant, à longueur de journée pendant plusieurs années.

Une parenthèse : Les demoiselles du téléphone d’autrefois :

Imaginons mon grand-père voulant appeler un client demeurant par exemple à Rauzan en Gironde.

Il actionne d’abord la manivelle située sur un côté du boitier, sorte de cube de bois de 20 cm de côté, pour activer la sonnerie de la poste : c’est la demoiselle du téléphone de Châtellerault qui lui répond en demandant avec quel numéro de quel endroit il désire correspondre ; « Bonjour Mademoiselle, je voudrais le X à Rauzan pour le 2 à la Tricherie, s’il vous plaît ». Cette demoiselle pourra parfois lui faire préciser près de quelle ville importante se situe le correspondant; mon grand-père entend cette demoiselle appeler son homologue de Poitiers qui appelle son homologue de Bordeaux qui appelle Rauzan et enfin le correspondant.

Mon grand-père entend alors une demoiselle du téléphone de fin de circuit lui disant «PARLEZ». Au cours de la conversation, et surtout pendant les “blancs” il entendra plusieurs fois une demoiselle du téléphone lui demander si le dialogue est «TERMINE ?» jusqu’à ce qu’il raccroche.

C’était cela le téléphone avant l’automatique… et après le télégraphe de Monsieur Chappe !!!

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