Recherches Raphaël Serreau / F. Bergeon (PCT)
Commanditaire des deux expéditions en 1954 et 1958 à la recherche du yéti, Gérald Morgan Russell (1911-1979) fut propriétaire du Château de Baudiment pendant plus de 20 ans.
Partons à la découverte de ce naturaliste aventurier, de cet explorateur fascinant, célèbre pour ses travaux et pour son aura auprès des habitants de la commune de Beaumont…

De la ruée vers l’or…
Pour connaître Russell, il faut d’abord se concentrer sur ses origines. Né en 1911, Il est issu d’une famille bourgeoise californienne ayant construit sa fortune grâce à la ruée vers l’or.
Son arrière-grand-oncle, Charles Crocker, est l’un des « big four » (quatre grands) qui vont faire construire la « Central Pacific », première ligne de chemin de fer transcontinentale nord-américaine.

Son arrière-grand-père, Edwin Crocker s’installa avec sa deuxième femme à Sacramento. Il fut juge de la cour suprême de l’Etat en 1863. Fervent abolitionniste, il défendit un chemin de fer transcontinental. Un AVC en 1869 le laissa paralysé. Il fonda alors une galerie d’art, achevée en 1873, premier musée de Sacramento, le « Crocker Art Museum ». De 1869 à 1871, il entama un grand tour d’Europe avec sa famille. Il mourut peu après, le 24 juin 1874.

Sa grand-mère, Aimée (Amy Isabella) Crocker (1864-1941), née à Sacramento le 7 février 1841. C’est sans doute d’elle que lui vint son attrait pour l’exploration.

Mariée cinq fois, elle eut de son premier mariage avec Richard Porter Ashe en 1882, dont elle divorce en 1887, une fille Gladys Ashe Crocker qui sera la mère de Gérald Russel.
La vie extravagante et bohème d’Aimée Cocker, sa grand-mère maternelle
À l’adolescence, après la mort de son père qui lui lègue près de 200 millions de dollars actuels, sa mère l’envoie faire ses études à Dresde. Elle était amoureuse de plusieurs prétendants. Elle s’est fiancée à l’un d’eux, le prince Alexandre de Saxe Weimar. Elle a rompu les fiançailles et a écrit plus tard à propos du prince: «Je me souviens qu’il ne s’est pas suicidé« . De retour à la maison, deux amis, R. Porter Ashe et Harry Gillig, ont joué une partie de poker pour sa main et Ashe a gagné avec quatre as. Elle l’a épousé en 1882, eut une fille Gladys, en 1884. Elle divorce en 1887 mais humiliée publiquement par la perte de la garde de sa fille, Aimée décida de laisser Gladys aux soins de sa mère et d’aller faire un tour complet de l’Extrême-Orient. Elle fit une première escale à Hawaii ayant rencontré son roi, David Kalakaua, en Europe. Elle y resta près d’un an et le roi lui donna une île de 300 habitants dont elle fut nommée Princesse Palaikalani (qui signifie Béatitude du Ciel).

Elle a épousé Harry Gillig, qui avait auparavant perdu sa main dans le jeu de poker, qui va l’accompagner dans son voyage en Extrême Orient. Elle y vivra de nombreuses aventures exaltantes et affriolantes dont : une évasion à glacer le sang des mains des chasseurs de têtes de Bornéo, un empoisonnement à Hong Kong, une tentative de meurtre par lancer de couteaux par des serviteurs de Shanghaï, trois semaines dans le harem de Bhurlana (Aimée a prétendu être la première femme anglophone à avoir vu l’intérieur d’un harem), une recherche du kaivalya (libération par l’isolement) dans la grotte du grand Yogi Bhojaveda à Poona… Pendant son séjour à Java, elle «portait le costume indigène et vivait dans une hutte indigène». Pendant son séjour au Japon, elle a vécu dans une maison de papier. Pendant son séjour là-bas, un jeune officier britannique lui aurait volé un Bouddha sacré dans un temple et «l’affaire a été étouffée».
Lors de son retour à New York, après avoir vécu en “Orient” durant dix ans, elle devint l’excentrique nationale, couverte de tatouages, portant des serpents autour du cou aux fêtes et déclarant son amour pour Bouddha. Faisant la une des journaux. Ce mariage aussi s’est terminé par un divorce.
En voyageant à l’étranger des années plus tard avec sa fille Gladys Ashe, elle rencontre deux frères, Jackson et Powers Gouraud. Elle a épousé Jackson Gouraud, auteur de comédies musicales, son grand amou et ils adoptèrent deux enfants, Reginald et Yvonne (elle en adopterait deux de plus ensuite : Dolores et Yolanda).
Sa fille naturelle Gladys, née le 21 novembre 1885, a épousé le frère de Jackson, Powers Gouraud (devenant ainsi la belle-sœur de sa mère) et ils ont également divorcé.
Après la mort de Jackson, Amy . fut hospitalisée à Paris. Elle changea aussi l’orthographe de son nom en passant de Amy à Aimée. Aimée allait vivre les prochaines 27 années à Paris, faisant d’incroyables fêtes et hébergeant des jeunes artistes et nobles russes exilés.
Le 11 juin 1914, Aimée épousa le prince Alexandre Miskinoff, un noble russe. Ils se sont séparés en 1915 et il a divorcé l’année suivante.
Le 22 septembre 1925 à Paris, Aimée épousa le prince Mstislav Galitzine, comte Ostermann de Russie, né à Kiev le 21 janvier 1899. Il avait 26 ans et elle 61ans, pour obtenir le titre de princesse Galitzine, titre qu’elle conserva près son divorce en 1927.
Lorsqu’un ami qui avait perdu le compte de ses mariages lui demanda si Mstislav était son cinquième ou son sixième mari, elle répondit “Le prince est mon douzième mari si j’inclus dans ma liste matrimoniale les sept maris orientaux qui ne sont pas reconnus par la législation occidentale”.
Elle est décédée à 78 ans à l’hôtel Savoy Plaza à New York en 1941.
Son grand-père : Porter Ashe, 1er mari d’Amy Cocker.
En 1883, lors d’un voyage à Los Angeles pour sa lune de miel, le train les transportant devint incontrôlable alors qu’il était au sommet d’une colline à Tehachapi, tuant 21 personnes et en blessant grièvement 12 autres. Le jeune mari d’Aimée Crocker, dont les ancêtres ont donné leur nom à Asheville, Porter Ashe “avait fait preuve d’un grand sang-froid et d’un héroïsme pendant l’incendie des voitures. Après avoir évacué sa femme et leur femme de chambre par la fenêtre de la couchette, il porta assistance à l’ancien gouverneur de Californie, John G Downey, qui était coincé dans des éboulis et lui sauva la vie”. Puis Porter Ashe perdit beaucoup d’argent, il dépensa une petite fortune sur des étalons de course, puis revendit la plupart à perte pour couvrir des dettes de jeu. Porter fréquenta les favorites du ballet et de l’opéra comique puis divorça.
Sa mère : Gladys Ashe Crocker est née le 21/11/1884 à Sacramento.
La rupture du mariage de ses parent fut un scandale national. Porter Ashes et son frère, Sydney, kidnappèrent Gladys à Los Angeles. Malgré la réputation de Porter comme un joueur notoire, malgré l’enlèvement de sa fille et malgré la fortune colossale de Crocker, Porter quitta le palais de justice avec l’enfant, mais Gladys fut plus tard adoptée par sa grand-mère maternelle.
Elle est décédée à Santa Barbara en 1947, après avoir vécu à Beaumont, dans son château de Baudiment, laissant de son deuxième mariage avec l’anglais Walter Russel, un fils : Walter Morgan « Gerald » Russell.



Mémorial de la famille d’Edwin Crocker au cimetière de Sacramento en Californie (USA)
Connue à Beaumont sous le vocable de « la marquise », femme flamboyante, passionnée par les chevaux, elle venait de Saint-Cloud et louait un château en Touraine avant de s’installer au château de Baudiment. Pendant la deuxième guerre mondiale, elle vivait au château avec un Italien.
La mémoire locale beaumontoise rapporte qu’elle serait décédée pendant la traversée, sur le bateau qui la conduisait en Amérique en 1947.
À la mort de sa mère, Gérald Russell hérita du Château de Baudiment et celui-ci devint sa résidence principale lorsqu’il n’était pas en expédition.
…à la ruée vers l’ours !
Russell est né en 1911 à New-York d’une mère américaine et d’un père anglais. Il fait ses études de littérature en Angleterre, à la prestigieuse université de Cambridge de 1928 à 1931. Sportif, athlétique, joueur de polo, alors que son père Walter Russell veut qu’il devienne ambassadeur, il préfère s’attacher à une discipline jusqu’alors presque inconnue : la cryptozoologie. « Zoologie » pour l’étude des animaux, et « Crypto » pour l’ensemble des espèces dont l’existence est controversée. Cela rend l’œuvre de Russell d’autant plus intéressante : le chercheur oscille en permanence entre mythe et réalité…
Après l’université, Russell passe de nombreuses années à travers l’Afrique et l’Asie à collectionner des mammifères, des reptiles et des amphibiens pour les musées et les jardins zoologiques. Il acquiert une certaine renommée par le soin et la patience dont il fait preuve pour trouver des spécimens rares.
Avec un ami universitaire, Ivan T. Sanderson, Russell part en Afrique en 1932 lors de l’expédition de Percy Sladen dans le but de trouver, dans les forêts d’altitude du Cameroun britannique, le Mokele-mbembe animal non classifié, sorte de dinosaure qui serait toujours en vie. Selon les habitants, l’animal se nourrirait de fruits et de légumes qui poussent le long de la rivière, ce qui rassure les chercheurs : la bête n’est pas carnivore! Elle est cependant accusée d’avoir ravagé les hippopotames qui vivaient dans la région auparavant. Les habitants de Boha pensent que ce n’est qu’un esprit et non une créature de chair et d’os.

Les explorateurs rapportent : sur le bateau, « nous entendîmes un gargantuesque grondement et quelque chose d’énorme sortit de l’eau, cela changea l’aspect de l’eau, qui ressemblait désormais à de la mousse couleur cerise, puis, de nouveau rugissant, la bête plongea en dessous. Cette « chose » était noire brillante et avait la tête en forme de sceau, aplatie de haut en bas. Sa tête et son cou étaient de la taille d’un hippopotame adulte». Apeurés, ils décident de quitter l’Afrique. Mais Russell n’était pas au bout de ses surprises…
Lors d’une nouvelle expédition dans les montagnes d’Assumbo au sud-ouest du Cameroun, une deuxième attaque survient : il s’agit d’un énorme oiseau de couleur noire, ayant de gigantesques ailes et la tête en forme de marteau. Russell hurle et tire plusieurs coups de feu. La bête s’était enfuie. Selon les deux explorateurs, il n’y avait pas de doute, la bête était une sorte d’intermédiaire entre le ptérodactyle et la chauve-souris, mieux connue sous le nom de Kongamato ou Olitiau. Elle mesurait 12 pieds selon les carnets de voyage (soit 4 mètres de long environ).

Dès 1933, Russel part au Tibet dans le but de trouver le panda géant qui est alors classé comme animal de mythes et légendes, ce qui l’amènera ensuite sur la piste du yéti. C’est un échec à cause de la guerre civile en Chine. Russell retourne au Tibet en 1936 sans Harkness qui est décédé l’année précédente, mais avec sa femme Ruth Harkness qui souhaite réaliser le souhait de son mari, de rapporter en Amérique un panda géant vivant. Ils entendent que des indigènes ont tué un panda géant femelle. Elle a du lait : il faut donc retrouver les nourrissons. Coup de chance ! Ils en trouvent un ! L’information fait la une des journaux internationaux. Ruth Harkness part alors pour le musée Brookfield de Chicago pour présenter leur panda géant. Plus de 53 000 personnes visitent le panda découvert, c’est un succès !

En 1954, dix ans après la Seconde Guerre mondiale, toujours épris de découvertes et de trouvailles, il part du château pour le Népal à la recherche du yéti, l’abominable homme des neiges. Le journal anglais The Daily Mail finance l’expédition. L’intérêt de ses belles prises d’animaux et de ses collectes de témoignages font que Russel est choisi pour la mener. Tous les espoirs sont alors rivés sur cette expédition ; Russell déclare ainsi : « Je suis convaincu que le yéti n’est pas un mythe, son existence a déjà été établie ». Seuls des indices sont rapportés mais aucun yéti n’est aperçu. Selon Russell, l’expédition était menée par trop d’hommes, d’où un manque d’organisation pour trouver l’animal. En effet, 250 travailleurs asiatiques furent affectés aux tâches pénibles, ce qui catalysait le mécontentement.
Des photos sont apportées et communiquées au public anglais dans le journal, comme celle regroupant des traces de yéti. Ces photos nous montrent aussi qu’une expédition est toujours une expérience enrichissante : on y voit aussi Russell se faire tailler la barbe par d’autres membres de l’équipe.
Russell décide de retourner en 1958 à la recherche du yéti, il est chef adjoint de la « Slick-Johnson expedition ». Au cours d’échanges avec les habitants dans la région de Chuyang Khola, il apprend que Da Temba a aperçu le yéti. Selon l’habitant, le petit yéti se rendait dans une crique pour se nourrir de grenouilles. Russel et son adjoint installent un poste d’observation. Vers minuit environ, un Yeti d’environ un mètre quarante s’approche du ruisseau. La lampe de poche des deux hommes lui fait peur et il s’enfuit. Le lendemain, ils explorent les traces…
Comprenant les enjeux de l’expédition dans le contexte de tensions grandissantes de la guerre froide, Gérald Russell déclare « Notre tâche a aujourd’hui d’autant plus d’importance que les Russes sont aux portes du plateau de Pamir ».
Souffrant, Gérald Russell doit abandonner l’expédition et revient à Baudiment. Il meurt à New-York en 1979, sans descendance et sans héritiers.
Le château qu’il avait parfaitement entretenu est alors vendu aux enchères publiques en mai 1981
Russel : un homme admirable et admiré
Russell était respecté par ses amis scientifiques pour ses recherches sur le « Yéti ». Son premier compagnon de route, Ivan T. Sanderson, qui rapporta de l’expédition au Cameroun en 1932 le Makamunu Assumbo Caecilian idiocranium Russeli disait que Russell était « celui qui collecta(it) le plus de preuves herpétologiques » . Il est ainsi difficile de définir le métier de Russell au vu de ses recherches : est-ce plutôt de l’herpétologie, science se consacrant à l’étude des amphibiens et des reptiles ou plus globalement de la cryptozoologie qui désigne l’étude d’espèces non connues, relevant souvent des mythes et légendes ?
Au-delà de son œuvre scientifique, Russell était aimé des Beaumontois. Avec sa chevelure rousse, ses longues moustaches, sa tenue d’explorateur : bermuda, chaussettes et sac à dos avant la mode, avec son air décomplexé et son appétence pour la cigarette et l’alcool, il se fondait totalement dans la vie de l’après Seconde Guerre mondiale.
Ainsi il s’était, comme beaucoup d’hommes du village, engagé dans la guerre contre l’Occupant. Alors qu’il vivait à New-York, il décida de s’engager dans la « Navy » , la Marine Royale Britannique. Il participa aux débarquements en Méditerranée et en Normandie. Il se disait « Français de sentiment » : il faut dire qu’il avait choisi la France et plus particulièrement le Château de Baudiment pour y vivre.

Les habitants aussi se souviennent de sa gentillesse. Il recevait au château de nombreuses personnalités étrangères, dont le passage d’une cousine de la reine d’Angleterre qu’il amenait au cellier pour goûter un verre de vin ou de vermouth, tiré de la barrique, au douzil.
Il était reçu par le fermier, une fois par an, lors du paiement du fermage des terres de l’intérieur de l’enceinte du château. A cette occasion, vers la fin de sa vie, il arriva une revue scientifique anglaise à la main. Il y montra fièrement le dessin de « l’abominable homme des neiges », noyé dans un bloc de glace. Il avait réussi, sa quête était terminée.
Il était ami de la famille Serreau qui vivait rue de la Croix Bourdon dans le bourg de Beaumont. Il venait souvent à leur domicile, les soirées étaient très arrosées. Emilien Serreau, le père de famille, fut embauché au château pour la réfection de la toiture et l’abattage d’un arbre plus que centenaire, il fallut un mois pour l’abattre. Avec ses deux fils, sur un échafaudage pas bien solide, ils changeaient les ardoises.

A plusieurs reprises, Russell monta sur les toits pour leur tenir compagnie, verres et bouteille à la main. Au cours des travaux, il proposa même à Paul, un des fils Serreau, de venir en expédition au Népal avec lui, proposition qu’il déclina. Et heureusement d’ailleurs ! Sinon son petit-fils n’aurait peut-être pas pu vous conter les aventures de Gérald Russell sur ces quatre continents !
Génial! J’ai passé un bon moment. J adore lire ce genre d’histoires à tiroirs que sont les biographies de personnages hors du commun.
Beau travail! Bravo à Raphaël et Françoise.
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Après l’article sur Beaumont avant l’électricité, voici un autre excellent article qui nous fait découvrir un personnage dont j’ignorais totalement l’existence. Un grand merci à Mr Serreau de m’avoir fait connaître l’existence de cet amoureux de Beaumont.
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et n’oublions pas de citer son attrait pour les produits locaux en circuit court. A chaque passage il venait « en face » de son château, dans la ferme de ma famille chercher fromage blanc et vin rouge principalement et quelques autres produits de base
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