La jeunesse de Beaumont au sortir de la guerre
1945-1956
Propos recueillis par Jacqueline Rabeau (Madame Pierre Duffault) en 2005 auprès de Monsieur Robert Bourdy ancien instituteur de Beaumont, et restitués très fidèlement.
Préambule
En puisant dans les souvenirs qui me rattachent au pays de mon enfance et qui me sont si chers, j’aurais pu vous parler du Foyer Rural auquel j’ai d’abord participé comme membre actif dès sa création et dont j’ai dû prendre la direction lors de ma nomination comme institutrice adjointe à l’école des filles, nomination qui coïncida, à mon grand regret avec le départ d’Odette et Robert Bourdy.
J’ai pensé que nul ne pouvait mieux qu’eux vous parler du Foyer Rural dont ils ont été les véritables créateurs.
Je les ai rencontrés, l’un et l’autre très fatigués, dans une maison de repos, après plusieurs hospitalisations.
Je vous livre ce que Robert me fit parvenir quelques jours plus tard : la naissance et la vie du Foyer Rural dans les années 1945-1950.
Jacqueline Rabeau-Duffault
Février 2006

Oyez, Oyez braves gens de Beaumont la belle histoire du « Foyer rural », association enregistrée à la préfecture de la Vienne (loi 1901) qui, au lendemain de la guerre et des tristes années de l’occupation sut distraire sainement les jeunes et les moins jeunes de cette commune et leur apporta par le théâtre, le cinéma et les voyages quelques rayons de soleil.
Ce foyer fut créé sous l’impulsion de Robert Bourdy, instituteur adjoint à l’école des garçons et d’Odette Bourdy son épouse, directrice de l’école des filles.

L‘arrivée des Bourdy à Beaumont
A la rentrée 1945, l’administration académique recomposait la carte scolaire du département profondément perturbée par la guerre : populations déplacées (mosellans), usine repliée (ardennais).
Mon épouse et moi-même étions enseignants dans le civraisien, à Blanzay, lors des années de guerre. Années au cours desquelles mon épouse, accusée d’avoir facilité le passage de la ligne de démarcation à un aviateur anglais, avait été arrêtée dans sa classe par la Gestapo et transférée à la « Pierre Levée » (prison de Poitiers). Tandis que moi, réfractaire au STO, j’étais recherché par la police vichyssoise.
Attirés par le site et la proximité des voies de communication, nous postulâmes pour Beaumont.
Mon épouse fut nommée Directrice de l’école des filles de Beaumont et moi, instituteur à la Tricherie où une classe avait été promise au moment de l’installation de la tréfilerie Lefort sans que suite fût donnée.

À Beaumont, Monsieur Sapin, Directeur de l’école de garçons, surchargé de travail m’accueillit avec joie.

On me trouva un local dans une salle basse et peu éclairée, au rez-de-chaussée de la mairie. Il fut rapidement meublé et l’école de garçons de Beaumont qui officiellement avait deux classes, en eut trois.
À la récréation, je devais mener mes élèves dans la cour de la grande école. À cette époque, on ne se plaignait pas du manque de moyens, on «moyennait avec les moyens qu’on avait» !
Les classes de l’école des filles étaient très correctement équipées. J’avais repeint les tableaux, cela faisait partie des tâches habituelles.

l’installation et l’intégration
Le logement, par contre, avait été négligé. La tapisserie de la salle à manger était rongée par l’humidité et la boiserie qui garnissait le bas des murs tombait en morceaux. La mairie ne pouvant, paraît-il, faire face à la dépense, on nous remplaça les lambris par des plaques de fibrociment qui avaient servi de support aux affiches électorales. Je vous laisse imaginer les inscriptions « clochemerlesques » qui les garnissaient…
En arrivant à Beaumont, nous, gens du sud, nous ne savions rien de l’atmosphère de la commune.
Dans ces années d’après-guerre, la politique refaisait surface, le pays était coupé en deux.
Aux élections, droite et gauche s’affrontaient.
Le jour du 11 Novembre, après la cérémonie au monument aux morts, nous regagnions notre domicile lorsque nous fûmes interpellés par des gens qui pique-niquaient sur la place tandis que d’autres banquetaient chez Julien Cyr plus connu sous le vocable de Bernafiot.



On nous invita à trinquer et à partager les repas. Nous fûmes alors immédiatement étiquetés « communistes » (ce que nous apprîmes bien plus tard). Etiquette infondée : je n’ai jamais été affilié à quelque parti politique que ce soit, trop respectueux de ma liberté et de celle des autres, trop profondément laïque au sens propre du terme.
Mais de cette étiquette, nous n’avons jamais pu nous débarrasser. Ce fut parfois difficile à supporter et dommageable à ce que nous entreprenions….
La jeunesse de Beaumont
Au fil des jours nous prîmes conscience du nombre de jeunes de la commune pour qui les distractions étaient fort rares et nous organisâmes, les samedis soir des feux de camp scouts où nous chantions, dansions des danses folkloriques, exécutions des mimes, ce qui nous préparait peu à peu au théâtre.

Foyer rural 1946
Nous nous réunissions dans un baraquement laissé par les Allemands devant l’école des filles.

Le quadrille des lancers Cécile Blain et Jacqueline Rabeau (en homme), devant le baraquement qui sert de salle des fêtes
« Nous avions appris les pas de cette danse qui terminait au début du siècle dernier tous les bals de nos grands–parents, avec Monsieur Octave Berger. Nous avions beaucoup de danseuses mais aucun danseur ne s’étant porté volontaire, les plus grandes devinrent cavaliers… »

…Dans le même spectacle, nous avions présenté une autre vieille danse, la scottish
Plus tard, nous fîmes avec des scouts éclaireurs de France et des jeunes de l’auberge de jeunesse de Poitiers, une randonnée pédestre autour de La Haye-Descartes avec accueil chez l’habitant …
Le cinéma
Au cours d’une récréation, comme je parlais de cinéma avec Monsieur Sapin, ce dernier me dit : j’ai un projecteur !
Il me sortit alors du fond d’un placard un Pathé rural 9mm muet et les galettes d’un film : « Les révoltés du Bounty ». Ce film meubla un certain temps nos soirées du samedi.
Trois amis poitevins, intéressés par notre démarche nous apportèrent leur aide et vinrent animer nos soirées :
Jean Riondet participait alors à la création de recueils de chants scouts ; il fut un temps membre du cabinet de Maurice Herzog alors ministre de la jeunesse et des sports puis détaché à l’office régional de la jeunesse et des sports de Poitiers.
Gilbert Hilairet, enseignant, devint directeur de la maison de jeunes de Poitiers puis directeur de « l’I.U.T. carrières sociales » de la faculté de Poitiers.
Amédée Souchaud, commissaire régional des Eclaireurs de France, fut le fondateur de la toujours célèbre chorale poitevine « la claire fontaine ».
Ces amis dévoués nous apportèrent bénévolement leurs précieuses compétences.
Parfois, notre soirée terminée, ils campaient dans une grange à foin, chez Morisset, à la Croix Bourdon, attendant le train du lendemain pour regagner Poitiers.
Le Foyer rural
Notre groupe d’éducation post-scolaire prit de plus en plus d’importance et Le Foyer Rural fut créé, statuts déposés à la Préfecture (loi 1901) sous l’égide du ministère de l’Agriculture, le maire et quelques conseillers municipaux faisant partie du Conseil d’Administration.
[Le 13 septembre 1945, les ministères de l’Agriculture et de l’Éducation nationale officialisent l’existence des Foyers Ruraux. Le 17 mai 1946, au château de Sceaux, une Assemblée générale vote les statuts et élit le conseil d’administration de la Fédération nationale des Foyers Ruraux (FNFR). La FNFR entre alors à la Confédération générale des œuvres laïques, en gardant son autonomie juridique, et bénéficie de postes d’instituteurs détachés et des services des Fédérations des œuvres laïques…]
Nous fûmes le troisième Foyer Rural créé en France !
A ce titre, nous pouvions prétendre à une subvention importante du ministère de l’Agriculture pour la construction d’une salle des Fêtes. Toutefois, cela n’intéressa pas nos édiles. C’est ainsi que 7000 francs, somme considérable pour l’époque, furent attribués à Plaisance dans le Sud-Vienne, commune qui n’avait aucune activité populaire, mais un maire très demandeur !
Un entrepreneur de la Tricherie m’offrit de faire des travaux que je rembourserais plus tard. Craignant les dissensions dans la commune et doutant, il faut l’avouer, de mes compétences, je refusai.
C’est ainsi que le baraquement de la place qui tint lieu longtemps de cantine scolaire servit aussi de salle des fêtes.
Le ministère de l’Agriculture nous dota alors d’un projecteur semi–professionnel, un Debrie 16mm, et de deux haut– parleurs alimentés par un amplificateur, le son étant reproduit par lecteur optique, Roland Marchal nous adapta un micro.

Restait à louer des films ! Nous fîmes appel dans un premier temps, à un organisme commercial avec lequel il fallut se battre, la règle étant d’accepter deux « navets » pour obtenir un bon film.
Plus tard, implanté dans le centre régional de documentation pédagogique (CRDP), l’Oroleis* nous fournit des films de plus en plus corrects et assura la révision annuelle de notre Debrie.
*OROLEIS (Office régional des œuvres laïques d’éducation par l’image et le son)
Ainsi se mirent en place des séances hebdomadaires de cinéma. Les films arrivaient à la gare chaque semaine. Nous projetions à la Tricherie dans l’arrière-salle du café de Madame Rabeau, à Beaumont dans la salle de bal de Julien Cyr, à l’usine Duteil de Domine (un chauffeur de l’usine venant nous chercher) à Chincé, à Jaunay-Clan.
Nous avons même projeté à Archigny.
Un transporteur de Chauvigny, Bidault, assurait aller et retour avec, je me souviens, une 601 Peugeot dont le dessous était quadrillé de fines barres de fer (en traversant le Pinail, la nuit, il ramassait toujours quelques lapins de garenne qui batifolaient sur la route déserte).

Il fallait, le lundi, rembobiner les films et les réexpédier : lourde tâche peu à peu partagée.

Chez Marthe Gaborit : sont présents René Basani, Roger Boisgard, Marthe Gaborit, Jacqueline Rabeau, Madeleine Lebon, Etiennette Morisset, René Busseau, Geneviève Raucourt, Raymonde Marquis, Fredo Popelka et Robert Bourdy…
Le Théâtre
Nombre de jeunes furent enthousiastes pour se lancer dans l’activité théâtrale
Nous aménageâmes une scène avec coulisses et portants, décorés suivant le spectacle.
Ces portants furent confectionnés avec des lattes de bois aimablement fournies par Monsieur Mergault, le charron. Nous les garnissions de toile de jute (vieux sacs à blé) puis nous collions des chutes de papier peint sur l’envers desquelles nous peignions le décor approprié.
La peinture, il suffisait d’utiliser de la colle à papier peint teintée avec des poudres de couleur achetées dans une droguerie.
La scène terminée avait une certaine allure.
Les répétitions commencèrent et ce n’était pas très facile, chacun ayant un métier et des heures de liberté qui ne coïncidaient pas toujours ; mais nous avions des jeunes particulièrement enthousiastes. Les acteurs heureusement doués, improvisaient bien souvent, mettant en péril la suite du dialogue. Je vous laisse quand même imaginer l’affolement de celui ou de celle désigné pour le rôle de souffleur…
Nous avons joué une pantomime : « les olives » : un jeune couple plante une pousse d’olivier en faisant des projets sur l’emploi de l’argent des futures récoltes et à la fin une chèvre dévore la pousse.
Vinrent ensuite :
Pichrocole ou les coquecigrues
Le voyage de Monsieur Perrichon de Labiche
Le médecin malgré lui de Molière à Beaumont

Geneviève Raucourt, André Paré et Raymonde Marquis

D’autres saynètes complétaient les spectacles.
Se révélèrent alors des talents d’acteurs incontestables avec entre autres André Paré, Bruno Aldeghi, Geneviève Raucourt.
On venait de partout, même de Poitiers à nos représentations. Nous jouâmes dans les communes avoisinantes, à Jaunay-Clan et Marigny-Brisay.
Nous participâmes à de nombreux concours au sein de l’UFOLEA (union française des œuvres laïques d’éducation artistique) où nous fûmes officiellement classés en division d’honneur. A ce titre, nous avons joué aux théâtres de Périgueux, d’Angoulême et de Poitiers.


Séances de cinéma et représentations théâtrales nous rapportaient. Si ce n’était pas le « pactole », cela nous permettait, chaque année d’organiser un voyage gratuit pour les membres du Foyer et payant pour ceux qui aimaient profiter des places libres. Nous étions hébergés par mesure d’économie dans des auberges de jeunesse. Parfois, nous campions.
C’est ainsi que nous sommes allés en Bretagne : à Plougastel-Daoulas, à Dinan, dans les Landes…
Voyage à Arcachon 1946









Micheline, Pierrette, Jacqueline, Etiennette, Marthe et Madeleine.
Anecdote
Il me revient une anecdote : un 14 juillet en partant vers Plougastel, nous sommes passés par Angers. Le car fut bloqué dans une rue par la sortie d’une caserne de soldats et de quelques chars.
Aussitôt les musiciens de la fanfare, membres du Foyer qui ne se déplaçaient pas sans leurs instruments, descendirent du car et jouèrent des marches militaires à la grande joie des soldats. On nous invita au défilé où nous eûmes un franc succès. Il y avait plus de « défileurs » derrière nous que derrière les gymnastes qui nous précédaient.
A Dinard, un kiosque à musique nous attira. Nos musiciens l’investirent et firent danser les gens sur la place.
Pendant ce mémorable voyage certains ont tellement ri qu’ils eurent, m’ont-il dit « huit jours de crampes dans les mâchoires » !!!
Il faut dire qu’à Beaumont, parallèlement au Foyer Rural, s’étaient réorganisées, sous la houlette de Monsieur Branger, Directeur du silo et sous la baguette de Monsieur Gaborit une clique et une fanfare qui eurent une certaine allure et participèrent à de nombreux concours régionaux.

Le théâtre, le cinéma, la musique dont je faisais bien sûr partie, me prenaient beaucoup de mon temps. Mon épouse restait à la maison avec nos deux jeunes enfants. J’étais de plus en plus débordé !
Lorsque le directeur de l’école, Monsieur Sapin, avec lequel je m’entendais très bien partit à Poitiers prendre la direction de l’école Coligny, un poste double étant libre aux portes de Poitiers à Migné-Auxances, nous le sollicitâmes.
Nous avons donc déserté Beaumont en laissant la lourde succession à Jacqueline Rabeau qui ne dut pas toujours nous bénir !
Mais nous avons toujours regretté cette époque où nous avions tissé des liens amicaux avec des garçons et des filles remarquables.
Je rappellerais Jacqueline Rabeau mais aussi André Paré, notre sympathique cordonnier plein de gentillesse, de convivialité, vrai boute-en-train.
Serge Fournier toujours disponible pour nous transporter et nous aider…
Suivent des noms qui me reviennent en mémoire, Etiennette et Micheline Morisset, Geneviève Raucourt, Pierrette Rabeau, Jean Henneteau, Jean Girault, Roland Marchal, Bruno Aldeghi, Itollo Biason, Freddo Popelka et …. tous ceux dont j’ai oublié les noms et qui ne m’en voudront pas, je pense.
Quand je passe à la Tricherie, sur la RN10 (D910) je ne peux regarder la colline qui a beaucoup changé, la côte… et Beaumont tout là-haut, sans une certaine nostalgie.
La suite …
Poursuivre l’œuvre dont Robert Bourdy vient longuement de vous entretenir ne fut certes pas chose facile mais le groupe était en état de marche !
Tous les jeunes qui étaient mes amis se sont mobilisés pour que toutes les activités perdurent. Une aide fut apportée par le personnel poitevin de L’OROLEIS dont certains responsables participèrent aux projections cinématographiques réduites à deux séances hebdomadaires, une à Beaumont l’autre à la Tricherie.
Je fis aux vacances de Pâques 1951 un stage de théâtre et danses organisé par la ligue de l’Enseignement au CREPS de Dinard, mes compétences en théâtre me semblant insuffisantes.
Monsieur Garnier, instituteur à l’école de garçons, rejoignit le groupe des acteurs.
Que de soirées occupées par les répétitions des chants, des danses, du théâtre, mais quel plaisir de se retrouver !
Nous avions, pour permettre les aménagements scéniques, des intermèdes particulièrement appréciés avec
Geneviève Raucourt dans le répertoire d’Edith Piaf
Monsieur Berland, quincaillier à la Tricherie en conteur patoisant irrésistible,
Monsieur Ménard, instituteur à Cenon qui nous régala de son solo de saxophone…
En fin d’année, je me souviens particulièrement de deux beaux voyagesLe Pays basque avec le passage mémorable de la frontière espagnole, la vallée de Chamonix et la mer de glace avec le séjour aux Ouches
J’étais bien trop préoccupée par la responsabilité qui m’incombait pour profiter pleinement de l’atmosphère festive de ces beaux voyages que se remémorent avec tant d’émotion Pierrette et ma sœur Renée.
Je dus quitter Beaumont en octobre 1956, aucun poste d’enseignant n’étant vacant pour accueillir mon époux.
Mais, ai-je jamais vraiment quitté Beaumont ?
Le 6 novembre 2006
Jacqueline Rabeau-Duffault
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